Imaginez : vous arrivez à un rendez-vous avec une centrale d’achat. En vous asseyant, vous découvrez que votre chaise est cassée. Pourtant, l’acheteur fait mine de rien, et la discussion démarre : c’est parti pour deux heures de supplice ! Cette anecdote vous paraît incroyable ? Elle compte pourtant parmi les légendes existant autour des négociations… ceux qui l’ont vécu croiront, les autres douteront !
Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Sidely se penche sur les négociations commerciales entre fournisseurs et enseignes de la grande distribution. Nous commencerons par décrire le calendrier des négociations, puis vous proposerons une manière de vous préparer, et enfin nous listerons un ensemble de techniques de gestion d’entretiens de négociation (côté vendeur bien-sûr !).
Mais commençons par le début : quelles sont les grandes étapes qui précèdent l’envoi des conditions générales de ventes aux enseignes ?
La signature des contrats de distribution est la conclusion de cycles de ventes obéissant à certaines étapes. Voici à quoi ressemble généralement le calendrier des relations commerciales entre marques et distributeurs.
En prévision des négociations annuelles, les industriels planchent sur leur stratégie (assortiment, stratégie tarifaire etc.). Pour les marques qui sont déjà référencées, il est important que les chefs de secteur utilisent cette période pour remonter tous les signaux qu’ils captent sur le terrain, en vue de décrypter la stratégie de référencement que chaque enseigne va déployer six mois plus tard. Au-delà d’anticiper les plans des distributeurs, les marques doivent aussi évaluer leurs performances ainsi que les stratégies de leurs confrères pour arriver armées des bons indicateurs de performances en phase de négociation.
Les enseignes commencent à communiquer publiquement sur leurs stratégies, notamment à l’occasion du Congrès des négociations commerciales LSA. C’est le moment de constater l’écart entre les informations dont vous disposez et le discours officiel. Ajustez vos stratégies en fonction de ce que vous apprenez.
Fin Octobre, le moment est souvent venu pour les petites et moyennes entreprises de faire parvenir leur proposition tarifaire. Les validations peuvent arriver assez vite lorsque votre offre correspond à la stratégie de référencement du distributeur et que vous consentez aux termes qu’il “propose”.
Pour les marques nationales ou les entreprises ayant des assortiments larges, les délais sont généralement plus longs. Les enseignes se laissent en effet le temps d’ajuster leur stratégie en fonction de ce qui ressort des discussions commerciales. Mais, fin novembre, elles tiennent à avoir toutes les propositions en main afin de lancer la séquence de rendez-vous de négociations (jusqu’à 4 voire 5 rencontres dans certains cas !).
Il reste alors quelques semaines pour discuter des termes du contrat de distribution lors de rendez-vous physiques. Au titre de l’année 2024, la Loi Bruno Le Maire a avancé les dates butoir en distinguant deux groupes de fournisseurs selon leur chiffre d’affaires (cf tableau ci-dessous). Auparavant, l’horizon était plutôt à fin Février. Il convient donc de patienter un peu pour connaître les retombées de cette évolution et savoir ce qui s’appliquera en 2025.
On peut cependant constater que jusqu’à maintenant, le gouvernement ne contredit pas la pratique des enseignes visant à formaliser en priorité avec les PME, puis négocier avec les grandes entreprises, un point qui est loin de faire l’unanimité auprès des fournisseurs en GMS !
Il est difficile pour les marques de deviner en amont les stratégies de distribution que les enseignes vont adopter. C’est pourtant un point crucial car, quelle que soit la qualité de votre offre, elle ne sera validée que si elle répond aux objectifs commerciaux que se fixent vos distributeurs.
Il faut donc tenter d’anticiper les objectifs stratégiques de chacun de vos distributeurs :
Il est également fondamental de connaître les principaux indicateurs de performance financière qui vont définir la qualité de l’achat pour votre interlocuteur : chiffre d’affaires, marge unitaire ou encore masse de marge.
En analysant les objectifs financiers de votre distributeur, vous pouvez construire des assortiments et pricings adaptés, avec - si besoin - des offres à tiroirs. En général, l’acheteur voudra toujours baisser les prix, alors que vous voulez augmenter l’assortiment obligatoire. Ces objectifs peuvent aboutir à un compromis qui satisfait tout le monde : vous sur la largeur de gamme, le distributeur sur le coût d’achat. C’est ce qu’on appelle l’accord de gamme.
Sachez enfin que les acheteurs sont généralement sensibles à la notion de vente incrémentale, c’est-à-dire des produits qui vont générer un chiffre d’affaires nouveau par le biais de campagnes spécifiques ou d’une innovation qui ouvre une nouvelle niche.
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Si vous débutez dans la grande distribution, vous vous demandez peut-être quels sont les points cruciaux les plus importants à aborder dans les négociations. Nous avons constitué cette liste succincte, à vous d’évaluer l’importance de chaque item et - pourquoi pas - de les classer par ordre d’importance dans votre stratégie :
Maintenant que vous avez toutes les cartes en main pour préparer votre proposition commerciale, nous pouvons aborder les techniques de gestion d’entretiens de négociations avec les enseignes de la grande distribution.
Si vous manquez d’expérience commerciale ou débutez dans la grande distribution, vous êtes sans doute loin d’imaginer les difficultés qui peuvent apparaître lors d’un rendez-vous de négociation. Rappelez-vous d’une chose : acheteur est un métier, et vos interlocuteurs sont à la fois compétents et expérimentés. Le meilleur conseil qu’on puisse vous donner, c’est de vous entraîner, chronomètre en mains. Vous pouvez pour cela organiser des jeux de rôles lors desquels un collègue se met dans la peau de l’acheteur !
Dans sa panoplie de techniques, l’acheteur peut vous faire croire qu’il n’est pas décideur sur tout ou partie des points abordés. Le cas échéant, prenez de la hauteur et posez des questions techniques sur l’organisation des achats et la hiérarchie dans son réseau. Votre interlocuteur vous donnera alors des éléments précieux sur lesquels vous appuyer pour poursuivre les discussions, et souvent, il s’avèrera finalement décisionnaire et ne pourra plus se défiler aussi facilement.
Si vous avez face à vous 2 interlocuteurs qui jouent au bon et au mauvais flic pour vous déstabiliser, tentez de casser le jeu relationnel qui se met en place : laissez-les débattre entre eux et posez des questions ouvertes au bad cop, de manière à réfléchir ensemble et éviter de tomber dans le piège de l’argumentation aveugle.
La stratégie des acheteurs consiste généralement à vous faire parler le plus longtemps possible, afin de vous fatiguer d’une part, mais aussi de pouvoir lister toutes vos revendications. Une fois que vous avez “montré votre jeu”, le supplice commence… L’acheteur est prêt, il a l’habitude de ces entretiens, et il sait qu'après plusieurs heures de discussions, vous serez plus enclin à vous plier à ses conditions. Il vous faudra donc faire preuve de patience. Par ailleurs, n’acceptez jamais un deal sans l’avoir réfléchi au préalable. De la même manière que l’acheteur n’hésitera pas à se cacher derrière sa hiérarchie à chaque fois qu’il voudra temporiser, vous pouvez également invoquer des motifs vous permettant de prendre le temps de la réflexion.
Il est d’ailleurs courant que l’acheteur garde le coup de grâce pour la fin de l’entretien, voire le moment de la poignée de main. Il est donc déterminant de ne pas partir en monologue : apprenez à retourner les questions et à faire parler l’acheteur. Tentez vous aussi de comprendre au maximum ses objectifs et attentes afin d’ajuster vos arguments et garder des flèches pour la fin. Avant de donner un accord définitif, fixez son regard et demandez-lui si tout a bien été mis sur la table.
Souvent associée à celle de l’entonnoir, cette technique d’influence ultra efficace repose sur un principe simple : de nombreuses études ont montré qu’obtenir un accord sur une demande peu coûteuse (en efforts, argent ou autre) augmente considérablement les chances d’obtenir un second accord sur une demande plus coûteuse. Par exemple, vous avez plus de chances qu’un ami vous prête 100 EUR s’il vous a déjà prêté 10 EUR la semaine précédente. Cela peut paraître contre-intuitif, mais on dit plus facilement oui lorsqu’on a déjà dit oui auparavant. Utilisez cette technique à bon escient, et soyez conscient que quelqu’un peut tenter de l’utiliser sur vous.
Une négociation réussie, c’est quand l’acheteur pense avoir fait une affaire. Pour cela, il faut qu’il ait le sentiment d’avoir obtenu des contreparties sur tous les points qui l'intéressent. C’est pourquoi, s’il y a 3 points sur lesquels vous voulez absolument obtenir une validation, efforcez-vous d’en lister 10. Si l’acheteur ne dit oui qu’à 3 contre 10, il aura le sentiment de gagner la partie, et vous aurez obtenu ce que vous souhaitiez. Préparez-vous également à ce que l’acheteur ait une liste de demandes longue comme le bras…
De la même manière, vous pouvez surdimensionner une demande, en sachant pertinemment que l’acheteur dira NON (il vous ferme la porte au nez !). A l’issue d’un échange que vous saurez faire durer au maximum, reformulez votre proposition en allégeant les termes pour les faire correspondre à votre objectif réel. Cette fois-ci, le coût du oui paraît beaucoup plus acceptable pour l’acheteur !
Afin de vous déstabiliser, l’acheteur peut feindre une forme de détachement : “après tout, des fournisseurs, il y en a d’autres, et puis cette gamme de produit, c’est pas non plus ça qui motive les gens à faire leurs courses etc.” Ne tombez pas dans le piège de vous mettre à survendre : c’est exactement ce qu’il attend. Au contraire, imitez son comportement ; cette position d’expert vous permet une nouvelle fois de faire apparaître ensemble la meilleure stratégie : : “je comprends, c’est une situation complexe. Quelle est votre stratégie sur cette gamme / ce rayon ? Que faudrait-il faire pour que les ventes décollent ?” etc.
Un incontournable de la vente ! Listez vos revendications par ordre d'importance stratégique et préparez-vous à faire preuve de pugnacité. Vos distributeurs doivent se battre pour obtenir chaque concession, et vous n’écoutez pas tant qu’ils ne sont pas eux aussi prêts à faire des efforts en retour.
Ne validez jamais un point qui n’est pas totalement clair pour vous. Faites-vous expliquer les choses autant de fois que nécessaire. Ce n’est pas un signe de bêtise mais au contraire de sens critique. Si un acheteur pose une condition, c’est que celle-ci aura un impact sur vos résultats. Cet impact doit être parfaitement compris de votre côté.
Évitez de réagir trop spontanément, et si votre interlocuteur dit quelque chose qui vous révulse, respirez et détendez-vous avant de reprendre la parole. Attention également à la flatterie : c’est une technique de manipulation redoutable qui permet à l’acheteur de vous faire baisser votre garde en créant un sentiment positif chez vous. Notre conseil : relisez le Corbeau et le Renard une heure avant le RV, et jurez qu’on ne vous y prenne pas !
Préparez-vous à ce que vos interlocuteurs vous confrontent à des chiffres qui jouent en votre défaveur (décroissance de votre marché, apparition d’offres concurrentes, faibles résultats sur certains points de ventes etc.). Anticipez cette situation et apportez vos propres analyses (fortes performances chez une enseigne concurrente, produit d’avenir, progression de votre CA etc.).
Bien entendu, il est impossible d’anticiper tous les cas de figure qui se présenteront lors de vos rendez-vous. Les techniques énoncées ci-dessus sont donc destinées à vous préparer, mais libre à vous de les adapter à des situations spécifiques.
Et si tout se passe bien et que vous obtenez le deal dont vous réviez ?
Eh bien, ça ne s'arrête pas là, car il va falloir alors défendre vos parts de linéaires en vous assurant que vos produits sont correctement valorisés dans les rayons des supermarchés. Et pour cela, il y a l’application Sidely !